Il y a quelques jours, j’étais invitée par France24pour parler emploi et présidentielles en tant que dirigeante de startup. Je n’étais pas forcément partante pour participer à un débat politique vu que je ne suis pas une “femme politique” mais je trouvais que c’était une bonne opportunité pour parler d’un sujet qui me tient à cœur, qui tient à cœur de beaucoup de dirigeants de startup que je connais: comment les startups essayent à leur petite échelle de re-inventer le rapport à l’emploi, de proposer des choses différentes, d’imaginer le monde du travail du futur, de rendre leurs employés heureux. Rien que ça.
PARDON MY FRENCH
Les startups sont rarement des “grosses entreprises”. Chez MommyVille on avait 5 salariés, JOONE en a pour l’instant 4. Ca parait peu mais c’est déjà beaucoup. Des salariés, ça veut dire (attention, s’en suit une suite de gros mots) des DPAE, des DUCS, du AGIRC ARRCO, de l’URSSAF (celui dont on ne sait jamais s’il faut 2 S ou 2 F ou 2 A): en gros, de la bureaucratie lourde (choc de simplification, my ass) et des tonnes de papiers où il faut écrire dans des toutes petites cases et renvoyer par la Poste ou par fax. (Que ceux qui ont un fax en 2017 mettent un commentaire qu’on puisse les juger :) . Ca, c’est la partie sombre de la force.
Mais il y a une partie géniale, c’est la RSE. En anglais, on dit CSR et en startup, on adore les anglicismes (surtout moi, surnommée “Afida Turner” par Robin, mon co-fondateur chez JOONE). La RSE, c’est ce nouveau concept dont les médias raffolent et qui inspirent les “grands groupes” à faire des trucs “sympas” pour leurs employés comme leur mettre un distributeur à café gratuit. La RSE, responsabilité sociale des entreprises, ou CSR, Corporate Social Responsibility. Et aller parler de ça avec des gens qui croient que donner un travail GARANTI A VIE à des gens est la seule promesse utile à leur faire, c’est compliqué.
LE PECHE GENERATIONEL
Il faut dire qu’on part de loin. A la base, pour pas mal de gens, une entreprise n’est pas sensée être un endroit de bonheur mais un lieu où on travaille. Le but, c’est la productivité, l’efficacité et donc l’absence de distraction. Le confort, la qualité de vie au travail sont des concepts qui ont mis un temps long à arriver, certainement car chaque génération souffre du péché générationnel. C’est une expression formidable que je pique à Yuval Noah Harari, qui a écrit “Sapiens, une brêve histoire de l’humanité,” où il explique que chaque génération à travers les siècles a toujours estimé que “c’était toujours mieux avant” et que la génération d’avant l’avait à la bonne, “comparés à eux.” Sauf que si toutes les générations se font la même réflexion sur la génération précédente, ça prouve bien le manque de perspective à grande échelle. On veut toujours garder les choses d’avant car avant, c’était mieux. On veut garder le CDI contre les contrats freelance car le CDI, c’était avant DONC c’était mieux…
Typiquement, il y a deux façons de voir l’uberisation de notre économie, et ma vision des choses ne fait aucun doute: la version pessimiste du “c’était mieux avant” c’est-à-dire quand les taxis étaient rois et avaient du boulot, et la version optimiste du “l’innovation apporte du changement” où on dématérialise la propriété liée au transport en proposant des chauffeurs qui vous emmènent partout pour un tarif clair et limpide. Je prends volontairement l’exemple d’Uber car c’est celui qu’on ressort systématiquement pour dire “les startups sont comme les autres, ils sont pas si gentils,” tout ça parce qu’UBER a un CEO controversé qui se croit un peu au far-west et des pratiques commerciales hyper agressives. La principale différence, c’est qu’UBER est sous la loupe de tout le monde, alors que la plupart des entreprises “traditionnelles” pratiquent l’omerta, le silence, les portes fermées. Les startups sont beaucoup plus transparentes, donc forcément plus faciles à critiquer. En toute logique, on ne peut critiquer que ce qu’on voit.
LE CHOIX DE LA TRANSPARENCE
C’est le choix opposé qu’on a fait avec mon associé Robin, et le choix de beaucoup de startups. D’être hyper transparent avec nos clients, mais aussi avec notre équipe. De voir le travail comme autre chose qu’un simple gagne-pain. De voir la version optimiste du commerce en se disant “oui, il va y avoir de la compétition, mais la compétition, c’est sain.” C’est marrant comme on tape sur certaines startups (jusqu’à causer la démise de quelques unes comme Heetch) pour cause de “concurrence déloyale” alors que personne ne crie au haro quand Usain Bolt fait de la “concurrence déloyale” à Trayvon Bromell qui finit bon dernier de la finale des JO. On dit juste “il est plus rapide, c’est normal qu’il gagne.”
Le choix de la transparence chez JOONE et chez pas mal de startups, c’est une question de RSE car c’est une question de valeurs. Nous croyons dur comme fer que les gens heureux travaillent mieuxet qu’une partie de notre job, c’est de rendre nos employés heureux. Chez JOONE comme chez plein d’autres, on ne pose pas les arrêts maladie ni les vacances, on n’a pas d’horaire fixe de matin ou de soir. Les gens s’auto-gèrent, nous disent “à telle date, ma nounou n’est pas là donc je ne pourrais pas être là” sans que ça soit une question, ni un mail formel, ni que ça passe au board pour validation sous 3 mois. Chacun est libre de son temps, de ses tâches et de les organiser comme bon lui semble. Aller au sport à 15h de l’après-midi? Aucun problème. Rentrer plus tôt parce qu’on se sent plus vraiment productif ? Be my guest. Partir 2 heures en pause déj’? On sera même content d’avoir le débrief des plats au retour. Car chez nous personne ne passera 2 heures à regarder des lolcats sur Facebook pour avoir le sentiment de “faire ses heures”. Il y a des jours avec et des jours sans et des jours où ça ne sert à rien de forcer.
WE TOUCH HAPPINESS AND WE CAN HOLD HER
Tous les mois, on fait une activité d’équipe, un truc organisé en secret par l’un d’entre nous avec un budget précis dont il est seul responsable, une idée que j’ai piquée à mon pote Paul, le CEO de Seekube, qui fait ça dans sa boîte depuis des années. Evidemment, les gens des groupes vous diront “ils font ça pour compenser car ils n’ont pas d’argent.” Paradoxalement, pas tant que ça. Mais surtout, c’est idiot de croire que nous sommes contraints à faire de la RSE “faute de mieux”, faute d’argent, faute de promesses de CDI pour 10 ans vu que tout le monde sait que la durée de vie moyenne d’une startup est de 3 ans. C’est idiot de croire que nous sommes contraints par notre statut de petite boîte potentiellement précaire à être gentils et à traiter les gens humainement. C’est juste que pour nous, ça nous paraît être tellement intrinsèque à nos valeurs que c’est juste la base sur laquelle on construit.Inspiration LOVE ❤
NOUS VS EUX VS LE RESTE DU MONDE
(ceci n’est pas une nouvelle télé réalité de W9)
Maintenant, il y a des jobs qui s’appelle Chief Happiness Officer, des gens qui sont payés à temps plein pour s’assurer du bien-être des gens dans les startups. Je dis les startups, car le gros problème des groupes face au RSE, c’est la crédibilité. Beaucoup de grands groupes adoptent des modèles de RSE pour faire joli dans la presse et sur le papier, implémentant des trucs à droite à gauche pour donner le change malgré des bureaucraties et des process beaucoup plus lourds que les nôtres, et souvent leurs efforts passent à la trappe. Ils sont raillés, sous-estimés, on suppose qu’ils le font pour “faire comme les autres” et que c’est forcément malhonnête, forcément partant d’une intention pas louable, tout comme les nôtres sont jugés farfelus ou idéalistes ou partant de notre manque d’argent.
Au final, entre les David un peu foufou qui font du paintball pour compenser le fait de bosser à 12 dans 20m2 et les Goliath qui décident après 3 boards de mettre des machines à café gratuites à tous les étages, tout reste à faire. C’est pour ça que la RSE par les startups est indispensable, elle est la clé de voûte d’un changement qu’on espère long et pérenne vers des pratiques responsablesqui rendront le travail agréable, joyeux, sérieux et rigoureux mais dans des équipes recrutées au mindset plus qu’aux diplômes, pour qui on crée des process utiles, faciles, engageant, pour leur donner envie chaque jour de nous donner leur maximum, pas parce qu’on leur promet 40 ans de CDI mais un peu de bonheur chaque jour. C’est à nous les startups de tester, de tenter, de nous planter et de mettre en place de la RSE de top niveau pour que petit à petit, la norme soit tirée vers le haut et que la peur du changement ne soit plus qu’un mauvais souvenir.