Tête à tête avec Sarah Barukh, victime de violences conjugales

06 mars 2023

Tête à tête avec Sarah Barukh, victime de violences conjugales

Chaque mois, nous mettons en lumière le portrait d’une maman de la communauté qui nous a particulièrement touché et inspiré. Ici, on vous présente Sarah, victime de violences conjugales. Dans la  nuit du 5 au 6 juin 2020, tout change enfin pour cette écrivaine et mère d'une petite fille de 4 ans. C'est en devenant maman que Sarah Barukh prend conscience des violences qu’elle subissait depuis plus de 10 ans. Celle qui avait renoncé à une vie de bonheur était devenue l’ombre d’elle-même. Cette naissance, ça a été son déclic pour s'en sortir… Alors après une énième dispute, elle réussit à s’enfuir avec son bébé… Elle appelle sa famille pour venir la secourir. Ils viennent à 4, ils font bloc,  puis elle part vivre quelques mois chez ses parents.

 

J'avais accepté “l’inacceptable” dans mon couple : je ne pouvais plus le tolérer pour ma fille

 

Ca me terrifiait qu’elle grandisse dans ce quotidien... Moi, j’avais renoncé à une vie joyeuse et paisible. Mais je me suis dit que si je la laissais évoluer au milieu des menaces, des cris et des atteintes physiques, elle considérait tout cela normal et deviendrait victime ou bourreau plus tard. Alors un soir, vers 3 heures du matin, après une énième dispute disproportionnée avec son père, je me suis enfuie avec ma famille, mon bébé sous le bras, pour qu’elle connaisse, qu’on connaisse ensemble un jour, l’amour qui ne fait pas mal.

 

J’ai vécu cette vie en spectatrice impuissante

 

Les médecins et assistantes sociales qui m’ont convoqués au commissariat durant la procédure pénale m’ont expliqué comment fonctionne notre cerveau face à la violence. Lorsque l’on vit un choc, l’état de sidération dans lequel notre esprit s’installe pour moins souffrir, anesthésie notre capacité de réaction. On se met à vivre notre vie en spectateur. C'est ce que j'ai fait. Et c'est pour ça que la plupart des victimes restent, qu’elles ne cherchent pas à être secourues. Elles ne PEUVENT pas se rendre compte, physiquement et mentalement, de ce qu’elles vivent. 

 

 

Apprendre à se reconnecter à soi-même

 

Le seul moyen pour refaire surface c’est de “réveiller” en douceur notre cerveau, par petites prises de conscience. A titre personnel, j’ai fait du sport car être plus fort physiquement me donnait l’impression de l’être mentalement. J’ai pratiqué la méditation pour ne plus avoir envie de mourir ou de sombrer dans des crises de panique qui me dépassaient. J’ai vu une psychiatre, j’ai pris des antidépresseurs, j’ai écrit… et j’ai eu de la chance.

 

 

Il fallait aussi rester “mère” dans tout ça 

 

Je ne sais pas comment j’ai fait avec ma fille pour ne pas lui faire subir cette situation trop longtemps. Ca me fait toujours mal quand je revois les photos de moi, la main droite cassée avec mon bébé dans les bras... Quand je me souviens de ma difficulté pour la baigner, la changer, la nourrir. Je culpabilise qu’elle ait quelque part inscrit en elle cette violence, mais j’ai pris très tôt deux décisions : lui donner tout mon amour et lui accorder une confiance absolue. Quand on s’inquiète trop pour nos enfants, on leur communique cette peur et la peur est un ennemi coriace qu’il ne faut pas laisser gagner, même à 4 ans. J’espère l’aider à devenir une femme forte.

 

Ma fille me pose aujourd’hui des questions…

 

Elle n’a pas de souvenirs de cette époque puisqu’elle avait 16 mois quand ça s’est terminé. Mais elle se pose et me pose beaucoup de questions. Il y a forcément quelque chose qui la dérange inconsciemment. Je suis plutôt du genre à ne jamais cacher la vérité donc je lui ai toujours tout expliqué. Si elle oublie, je recommence avec des mots adaptés à son âge. C’est sa vie, du moins son début de vie. Ce sera aussi le terreau dans lequel elle puisera pour devenir la femme qu’elle doit être. A moi de l’aider pour que ce soit porteur, qu’elle en fasse quelque chose de bien.

 

La nuit qui a tout changé

 

Quand je suis partie de chez moi, c'est là que j’ai commencé à chercher à mettre des mots sur ce que j’avais vécu. Je voulais comprendre aussi à quoi j’avais échappé et qui étaient les victimes de féminicides. Mais il n’y avait que des articles relatant des faits divers et des décomptes. Là je me suis rendu compte que si ça s'était mal terminé pour moi, ça aurait été une double peine pour ma famille que non seulement je ne sois plus là mais qu’en plus, aux yeux de la société, je sois devenue un numéro.

 

La naissance de 125 et des milliers

 

Mon livre est né d’un constat et de tout un tas de questions que je me suis posée après être partie. 1 femme meurt tous les 2,5 jours. Ca veut dire en moyenne 125 féminicides par an. J’ai eu l’idée de raconter 125 victimes. Pas comment elles étaient mortes mais QUI elles étaient. Et pour garantir à chaque texte une unicité, j’ai confié mes recherches à 125 personnalités. 125 femmes sont donc devenues les ambassadrices de 125 défuntes.

Dans ce livre, il y a mon témoignage, ceux d’experts de la chaîne de l’emprise et de la violence, 125 familles, 125 défuntes et 125 rédactrices. C’est un livre écrit à mille mains.

 

La violence n’a pas de frontière sociale ou géographique

 

Avec ce livre je veux qu’on se rende compte que les féminicides, et plus largement les violences faites aux femmes, sont un problème à la fois intime et sociétal, d’où sa complexité. Et d’où aussi la nécessité pour chacun d’agir à son niveau : la façon dont il observe celles qui l’entourent, la façon dont il tend la main en cas de doute, celle dont il humanise ce qui lui semble au départ très éloigné de sa vie… Alors si vous sentez que ce que vous vivez n’est pas tout à fait normal, parlez-en. C'est qu’il y a un problème. Regardez le violentomètre pour vous situer. Si vous pensez qu’une proche subit des violences, demandez le lui, dîtes-lui que vous l’aimez. Les violences sont possibles en général chez les personnes souffrant de failles affectives, elles doivent être rassurées, pas jugées.

 

 

Retrouvez l'ouvrage collectif de Sarah Barukh "125 et des milliers" : ICI.

L'intégralité des bénéfices sera reversé à L'Union nationale des familles de féminicide